Les problèmes de la France sont connus. Ils sont multiples. Economiquement : une fiscalité trop lourde, des charges sur les emplois trop élevées, des réglementations trop complexes. Politiquement : un système bloqué, tenu par deux grands partis qui n'ont ni l'un ni l'autre su se renouveler et incarner la modernité, avec sur leurs franges, d'un côté une extrême gauche toujours pas sortie du marxisme-léninisme et des écologistes qui représentent la version baba cool du gauchisme, et de l'autre une extrême-droite toujours pas sortie de l'ombre moisie du maréchal Pétain. On peut ajouter : une hypertrophie de la fonction publique, des syndicats puissants surtout chez les fonctionnaires et toujours prêts à organiser des blocages du pays à la moindre velléité de changement, un système scolaire sclérosé qui ne remplit plus sa fonction, un enseignement supérieur profondément détraqué qui produit davantage d'inadaptés sociaux et de futurs gauchistes que de gens disposant d'un savoir-faire utilisable sur le marché, une justice rongée de l'intérieur par des mouvements d'extrême-gauche, une police qui manque de moyens et d'objectifs clairement définis et qui oscille entre l'arbitraire d'un côté et l'impuissance d'un autre côté. On ne peut oublier, bien sûr l'insécurité qui grandit, l'abandon de zones entières aux bandes et aux gangs, une montée de l'islam dans laquelle l'islam radical vient s'infiltrer toujours davantage.
Il aurait fallu un homme d'Etat pour tenter de reprendre en main l'édifice, pour faire ce qu'on fait avec une entreprise au bord de la faillite : procéder à un audit. Il aurait fallu, ensuite, procéder à des réformes d'ensemble dans tous les secteurs à la fois, en expliquant, en faisant preuve de fermeté et de détermination, en traçant une ligne claire, en écartant les poids morts et les idéologues. Comme je l'ai expliqué la semaine dernière, Nicolas Sarkozy n'a rien fait de tout cela : pour une raison très simple.
C'est un politicien, et pas un homme d'Etat. C'est quelqu'un qui fait des « coups », qui navigue à vue, qui pense qu'en prenant des idées ou des hommes chez l'adversaire il va affaiblir celui-ci, qu'en faisant mine de s'entendre avec les syndicats, il va les mettre dans sa poche, qu'en organisant un « Grenelle de l'environnement », il va attirer des voix écologistes ou qu'en allant dire que l'industrie est rentable aux ouvriers le matin, puis en allant parler d'esprit d'entreprise aux entrepreneurs l'après-midi, il va séduire les uns sans mécontenter les autres. C'est un agité hyperactif, qui cherche à être partout à la fois, et un homme qui croit qu'être agité et hyperactif est se comporter en homme d'action. C'est, surtout, un étatiste et un autoritaire de type bonapartiste.
Les résultats sont là : le poids de la fiscalité restez globalement le même qu'il y a trois ans, avec quelques bricolages au passage. Les charges restent un frein à l'emploi. Les réglementations sont à peine simplifiées (on sortira le gadget qu'est le statut d'auto-entrepreneur pour sauver les apparences, mais c'est l'arbre sain qui cache la forêt malade). Les deux grands partis ont autant d'idées à eux deux que Brejnev à lui tout seul lorsqu'il était atteint, à la fin de sa vie de la maladie d'Alzheimer : l'Union Soviétique avait un parti unique au cerveau vide, la France en a deux, et ce n'est pas mieux. Les deux partis peuvent avoir, d'ailleurs, recours aux mêmes fournisseurs d'idées fausses : Jacques Attali, à l'aise chez Sarkozy le serait tout autant chez les socialistes pour la bonne raison qu'il est socialiste. Le blocage en termes d'idées est tellement accentué dans ce pays que les économistes compétents sont réduits au statut de marginaux, que les explications de la mondialisation qui circulent depuis vingt ans en Amérique, en Inde ou en Chine n'ont toujours pas pénétré le moindre neurone (mon propre livre « La Septième dimension », je l'ai constaté n'a pas été compris).
L'écologisme baba cool a toujours un ministère important. Les discours débiles de l'extrême-gauche et de l'extrême-droite sont toujours audibles, bien qu'ils n'aient pas changé depuis trente ans. Les syndicats vont manifester contre la retraite à soixante deux ans, comme ils auraient manifesté il y a trente ans, selon un rituel qui évolue moins vite que celui de la messe à l'église. L'école marche toujours aussi mal. L'université est toujours un navire qui coule (je le sais, je suis professeur à l'université, et je vois ce qui se passe autour de moi). La justice est toujours en état de dysfonctionnement profond : un homme qui tire sur des cambrioleuses pour défendre sa propriété est en prison, des criminels sont remis en liberté sans cesse, et la liberté de parole passe en jugement tous les jours sous une forme ou sous une autre dans un tribunal fait exprès pour cela, la dix septième chambre).
Les médias ont autant de liberté qu'au temps de Napoléon Premier, avec la différence qu'il y a aujourd'hui la radio, la télévision et internet, mais le Président nomme et licencie, fait et défait les carrières, et c'est quand un animateur fait scrupuleusement son métier tel Frédéric Taddei, en organisant les derniers débats vraiment contradictoires où on peut entendre ce qui ne s'entend plus ailleurs, qu'il fait scandale : comment peut-il prétendre faire son métier lorsque tous les autres ont démissionné ! En regardant le journal télévisé une fois cette semaine (je le fais à dose limitée, une trop forte dose pourrait nuire à ma santé mentale), je n'ai pu faire autrement que me dire que si des gens pensent être informés ainsi, je les plains : mieux vaut aller au cinéma. Au cinéma, on sait que c'est de la fiction, alors qu'au journal télévisé on ne sait pas que c'est de la fiction, et la mise en scène et les comédiens ont des chances d'être plus professionnels. La police continue à être là où elle ne sert à rien, et pas là où elle servirait à quelque chose.
On a vu cet été à diverses occasions, l'effet des zones de non droit, des retombées de la montée de l'islam radical en France. On a vu aussi comment fonctionnait la méthode Sarkozy, et on l'a vu sous son angle le plus détestable.
Il y a des zones de non droit tenues par des bandes ? On gesticule quelques instants. On fait des promesses vides. On parle de retrait de la nationalité pour ceux qui s'en prennent aux policiers tout en sachant que rien ne sera fait, sinon un ou deux exemples. Et pour se confronter aux problèmes de l'islam radical, que fait-on ? On s'en prend aux roms. Qu'il y ait des roms impliqués dans des cambriolages est certain. Que ces gens vivent dans des conditions insalubres est certain aussi. Mais sont-ils au cœur du malaise et de l'insécurité qui montent en France ? Non. Sont-ils des suppôts de l'islam radical ? Non. Ils sont, pour la plupart, chrétiens. Je n'approuve pas les discours du parti socialiste sur le sujet, pas plus que ceux de Dominique de Villepin. Je comprends, par contre, très bien les propos du pape Benoit XVI. Nicolas Sarkozy devient la caricature hideuse de lui-même.
Voici quelques années, il avait entendu parler de la tolérance zéro utilisée avec succès par Rudy Giuliani pour lutter contre la délinquance à New York : il a repris l'idée de tolérance zéro, mais pour l'appliquer aux automobilistes et mettre en place un système de rackett légal. La France avait sa tolérance zéro ! Et elle gardait sa criminalité qu'il aurait été bien plus difficile d'affronter.
Aujourd'hui, Nicolas Sarkozy voit qu'il y a six cent zones de non droit tenues par des bandes et qu'il y a une montée de l'islam radical. Que fait-il ? Il s'en prend à une communauté peu aimée, déjà objet d'une large vindicte, marginalisée, non soutenue par des lobbies puissants ou des pays étrangers producteurs de pétrole et de terrorisme, et il la jette en pâture à la police et à l'opinion publique. Cela s'appelle la stratégie du bouc émissaire. Il arrive souvent que cela fonctionne, et Nicolas Sarkozy remonte dans les sondages. C'est consternant. Et c'est nauséabond. Le nombre de roms en France est très faible par rapport à celui de ceux touchés par l'islam radical, et les camps de roms sont peu nombreux et assez petits par comparaison avec les zones de non droit. Les roms sont européens et reviendront après un passage par la Roumanie. La France aura toujours des camps de roms, des gens déjà pauvres auront subi des violences assez lâches (s'en prendre à des femmes et à des enfants n'est pas très glorieux, c'est le moins que je puisse dire), il y aura toujours des cambriolages. Les zones de non droit tenues par des bandes restent ce qu'elles sont. La montée de l'islam radical reste ce qu'elle est. C'est consternant parce que c'est inefficace et parce que c'est une façon de détourner l'attention des vrais problèmes. C'est nauséabond parce que cela revient à exciter la xénophobie alors que les problèmes demeurent et que les engrenages qui sont en action sous les problèmes continuent à tourner.
Les problèmes majeurs de la France sont : 1. Une économie en état de sclérose, 2. Des systèmes sociaux à bout de souffle, 3. Un blocage politique allant de pair avec une absence d'accès aux connaissances requises pour fonctionner efficacement dans le vingt-et-unième siècle, et une sous-information grave des populations, 4. Un vieillissement des populations accompagné par un changement de population et l'importance croissante de l'islam au sein des populations jeunes.
Nul ne parle de l'économie du futur où le capital essentiel est le capital intellectuel et humain et où on ne gagne pas mieux sa vie en se levant tôt le matin, mais en ayant des idées novatrices et des investisseurs prêts à miser sur des innovations radicales : le modèle pyramidal de l'usine, c'est quasiment fini. Les relances par la dépense publique, par les grands travaux, par les subventions, cela a toujours été inepte, et cela l'est plus que jamais. Keynes est mort depuis plus de soixante ans. Comme me le disait voici peu mon ami Florin Aftalion, qui, parce que c'est un économiste compétent, n'est jamais consulté par le gouvernement, ce dont on peut être sûr avec le multiplicateur keynesien est qu'il multiplie par un chiffre inférieur à un et toujours plus proche de zéro. Comme l'a écrit Arnold Kling, autre économiste compétent (cf. « When Labor Is Capital : The Limits of Keynesian Policy », american.com, 06-08-2010), désormais le capital, c'est le travail. Le marché doit sans cesse recalculer en fonction des innovations et les interventions gouvernementales viennent sans cesse fausser les calculs, et démultiplier les mésinvestissements.
Nul ne parle ou presque des réformes de l'assurance santé en direction du marché ou du système des retraites en direction de fonds de pension, alors que chacun sait, sauf les sourds, les muets, les aveugles et les lobotomisés que les systèmes en place courent vers la faillite et la nécessité de gérer la pénurie et l'indigence. Tous ceux qui traitent de ces dossiers sont-ils sourds, muets, aveugles et lobotomisés ? Il m'arrive de le penser. Des instituts de recherche comme l'Institut Turgot, que j'ai présidé jusque voici un peu plus d'un an ont élaboré des réponses qui, visiblement, n'intéressent personne. Les soldats américains débarquant pour sauver la France enlisée dans la guerre en 1917 disaient, selon la légende, « Lafayette, nous voilà » : il n'y a personne aujourd'hui pour sauver la France et les politiciens semblent dire en chœur « la faillite ? Nous voilà ».
Les blocages politiques impliqueraient, en amont, un travail permettant qu'il y ait à nouveau de l'information digne de ce nom dans les journaux, les magazines, à la télévision, à la radio, mais aussi un enseignement digne de ce nom. Si, déjà, quelques médias d'information faisant leur métier et si des ouvrages indispensables pour comprendre le vingt-et-unième siècle étaient disponibles, ce serait un début. Nous n'en sommes même pas à l'embryon d'un commencement. Nous sommes, au contraire, en pleine régression dans ces divers domaines. Les titres d'ouvrages économiques à sortir en septembre sont prometteurs : « Capitalisme et pulsion de mort », « La banque : comment Goldman Sachs dirige le monde », et « Le pari de la décroissance ». Si, avec cela, nous ne sommes pas tous ruinés dans dix ans comme dirait Attali, ce sera un miracle. Il y aura aussi « L'écologie pour tous » ou un « Petit dictionnaire énervé de l'écologie », par l'auteur de « L'humanité disparaitra, bon débarras ». Tout un programme ! J'attends avec impatience la réédition de « Suicide mode d'emploi ». Le journal Le Monde ayant un blog intitulé Ma vie sans CO2, je garde en réserve ma suggestion pour ceux qui veulent vivre sans émettre de CO2 : arrêtez-vous de respirer. Faites-vous enterrer, et pas incinérer (CO2, voyons !) : cela fera de l'engrais très bio pour ceux qui n'auront pas encore suivi votre exemple.
Personne, enfin, ne parle des défis démographiques auxquels nous sommes confrontés, et les discours sur l'islam oscillent entre le discours officiel, qui me fait penser à la vieille chanson « tout va très bien madame la marquise » et, à l'autre extrémité, un discours rejetant l'islam en sa totalité, et qui me semble simpliste et d'une nullité stratégique grave. L'aveuglement volontaire nourrit le discours de rejet global, les zones de non droit et les gestes attisant la xénophobie créent un climat propice aux violences, aux aigreurs, et à l'implosion.
Guy Millière
PS Je reviendrai sur le thème de l'islam. C'est une question majeure. J'y ai consacré deux livres, et j'ai traduit et préfacé un ouvrage de Daniel Pipes aux fins d'en parler. Mais c'est un sujet trop important pour le laisser en friche. Cela dit, il y a tant de sujets importants et laissés en friche aujourd'hui...